Dans la Musette
Tour de France

Tour de la France, étape 5 : suspense à Privas ?

Gap – Privas (183 km)

Une agréable odeur de crêpes embaume le village-départ à Gap. Marc Madiot, tout sourire, s’agite avec une assiette et improvise une joyeuse et bruyante distribution en servant des bolées de cidre. « Bardet, viens t’en bouffer une, t’es tout maigrelet bon Dieu ! » s’exclame-t-il en croisant le coureur d’AG2R, qu’il ébranle de tout son long en lui tapant vigoureusement dans le dos. « C’est Gaudu qui paie ! » poursuit-il en servant une grande rasade de jus de pomme fermenté à Richie Porte qui passait par là et ne demandait rien à personne.
Au pied du bus Jumbo-Visma, Wout Van Aert se fait livrer une crêpe par Tony Martin qui lui transmet : « Un fan de toi m’a demandé de te l’apporter ». Le belge se saisit de sa crêpe avec l’intention de la manger pour honorer ce joli geste et se fige soudain, pris d’un doute. En l’ouvrant, il découvre avec horreur que le Nutella qui agrémente sa crêpe est tout sauf du Nutella. « Il ressemblait vachement à Van der Poel, ce fan » complète Tony Martin, occupé à régler sa hauteur de selle tandis que Wout, envahi d’un réflexe nauséeux balance sa crêpe avec dégout et colère.

Plus loin, David Gaudu tout de jaune vêtu est plus beau qu’une demi-volée de Pavard. Il répond avec sourire aux nombreuses sollicitations des journalistes et des fans (allant même jusqu’à dédicacer la poitrine d’une mamie acquise à sa cause), puis il fait une bise à son chien et enfourche son Lapierre pour aller briller encore un peu plus sur la ligne de départ.

Le peloton parade longuement dans les rues de Gap et se fait enfin libérer au kilomètre zéro. Ça fuse de tous les côtés, ça flingue, ça contre et ça finit par sortir. Kévin Reza (B&B-Vital Concept), Anthony Delaplace (Arkea-Samsic) et Nils Politt (Israel Start up Nation) se font la malle pendant qu’à l’arrière du peloton, un coureur souffre. Richie Porte se tient le ventre et se tortille dans tous les sens avant de se résigner à s’arrêter dans un champ, afin de soulager ce que vous imaginez. Le cidre du père Madiot est visiblement mal passé. Mads Pedersen attend sur le côté que l’infortuné australien ait fini son affaire, et le recase rapidement dans le peloton où Tom Dumoulin vient le réconforter et compatir à sa mésaventure.

Outre ce fait de course, la suite n’est qu’un mélange d’ennui et de tradition juilletiste : Franck Ferrand parle coup sur coup de nougat, de Montélimar, de Nyons puis d’olives. Même le vent de la vallée du Rhône a la flemme et refuse de se lever. La course devient molle comme un Snickers oublié sur la plage arrière d’une R19 restée sur un parking au Grau-du-Roy. Il fait chaud, on se fait chier. Pas de doute : après la frénésie de la veille, le Tour est redevenu normal ! Les millions de téléspectateurs peuvent enfin s’adonner à la sieste, qui reste leur activité préférée du mois de juillet (à égalité avec mater Fort Boyard en s’ouvrant une petite binouze une fois les mioches couchés). Le public passe plus de temps avec Stefan Küng qu’avec sa propre famille, le rouleur suisse de Groupama-FDJ étant continuellement posté en tête du peloton pour maintenir l’écart en attendant que les équipes de sprinteurs ne viennent prêter main forte aux Madiot-boys.

La vitesse moyenne est très faible et on sent que le peloton a besoin de souffler. Kevin Reza s’en va néanmoins chercher le dossard rouge en attaquant sur un pont d’autoroute, alors que le pack s’apprête à avaler, digérer et recracher les trois fuyards à 23 kilomètres de l’arrivée. Sous la bannière des dix kilomètres, un frisson de nervosité agite enfin le peloton qui commence à sortir de sa torpeur comme d’une longue hibernation estivale. Les directeurs sportifs rappellent des consignes dans les oreillettes et pour cause : le final de l’étape sera jugé sur un faux-plat montant loin d’être aisé. Un vrai exercice de style pour les « spécialistes parmi les spécialistes » peut-on lire sur le roadbook d’ASO.
Chaque rond-point est traversé avec agilité, où les téléspectateurs gardent un oeil anxieux sur les bleu-et-blancs qui escortent ce fragile petit point jaune. Des millions de fesses se serrent à l’unisson, dans une symphonie de petits pets nerveux qui viennent se répandre sur les canapés Ikéa du monde entier. Mais contrairement aux systèmes digestifs de leurs fans, les coureurs ne sentent pas la pression et foncent comme si le danger n’existait pas.

La flamme rouge est gobée et les Deceuninck-Quickstep de Sam Bennett envoient plus de rythme qu’un tube de l’été aux sonorités reggaeton. Le gratin du sprint mondial tente de se placer en position avantageuse dans les premières longueurs du faux-plat montant final quand soudain, à 800 mètres de la ligne d’arrivée un coureur d’AG2R-La Mondiale s’octroie l’audace de sortir de ce furieux paquet, tel un boulet de canon ! Flottement dans la cabine de commentateurs, qui peinent à distinguer le rebelle sur le plan fixe un peu lointain. « Naesen, c’est Oliveureuh-Naesen ! » s’époumone enfin Jaja en découvrant les liserés noir-jaune-rouges à l’extrémité des manches du fuyard.

Le solide gaillard vient de prendre une dizaine de mètres d’avance et cravache comme un cheval de traie en se dandinant sur sa bicyclette, avalant chaque grain de bitume comme s’ils étaient des gouttes de pluie dans le désert. Chaque mètre semble être un hectomètre, et il en reste 300 dans le sprint le plus long de sa vie quand les derniers équipiers de sprinteurs s’écartent derrière, libérant ces orgueilleux fauves bien décidés à ne pas se laisser berner par tant d’audace. Désormais assis sur sa machine, tête baissée et aux frontières de la pire violence qu’on peut infliger à son corps, Naesen perd un mètre, puis deux, puis trois, puis quatre, puis cinq, puis six, puis… la ligne d’arrivée vient se dessiner sous sa roue avant alors qu’au niveau de son pédalier, les dernières forces de Sonny Colbrelli viennent d’être jetées vers la fatidique bande blanche. Les dix premiers coureurs du peloton le dépassent à une vitesse bien trop rapide pour la sienne mais trop tard : c’est bien Naesen qui a coupé la ligne en premier !

Le vainqueur n’a pas la force de lever les bras mais les supporters belges sur place le font pour lui, envoyant valser en l’air plusieurs centilitres de Duvel qui comme l’audacieux Oliver Naesen, ne seront jamais avalés.

Classement de l’étape :

1. Oliver Naesen (AGR)
2. Sonny Colbrelli (BAH)
3. Peter Sagan (BOH)
4. Caleb Ewan (LTS)
5. Elia Viviani (COF)
6. Sam Bennett (DCQ)
7. Wout Van Aert (JBV)
8. Hugo Hofstetter (ISR)
9. Alexander Kristoff (UAE)
10. Christophe Laporte (COF)

Classement général :

1. David Gaudu (GPF)
2. Alejandro Valverde (MOV) + 16’’
3. Tadej Pogacar (UAE) + 20’’
4. Mikel Landa (BAH) + 22’’
+ tous les autres favoris à + 26’’

Maillot vert : Peter Sagan (BOH)

Maillot blanc : David Gaudu (GPF)

Maillot à pois : Pierre Rolland (BBV)

Combattif du jour : Kévin Reza (BBV)

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