Loin de nous l’idée de mimer un « chut » comme Mohoric lors de sa deuxième victoire d’étape sur le Tour 2021, mais en voilà une belle provocation ! Comment oserions-nous proclamer que le moins exigeant des Monuments serait le plus grand, devant ces mastodontes que sont le Ronde et Roubaix, et qu’est-ce qui peut donc nous pousser à assumer cette opinion plus tranchée qu’Arenberg ?
Parmi les plus grands défenseurs d’unpopular opinions mondiales, il y a ceux qui aiment les ananas sur leur pizza et ceux qui comme nous, prétendent que Milan-San Remo est imbattable en terme de Monumentalité. Et notre argumentaire tient en un seul mot : électricité.
Le couronnement de la partie la plus palpitante de la saison
Nous affirmons sans sourciller que la partie la plus « électrique » et palpitante de la saison est la sainte Trinité Paris-Nice / Tirreno-Adriatico /Milan-San-Remo, avec en son coeur le filet d’huile pimentée des Strade Bianche qui vient relever le tout. De la poussière blanche volera de partout puis les coureurs viendront se casser les dents dans un raidillon à Sienne, pendant que du côté des Alpes où l’on ne parle pas avec les mains, des bordures auront lieu dans la campagne française avant de jouer la moindre bonification en débaroulant le col d’Èze. Parallèlement, l’annuel Grand Salon du Punch va s’ouvrir entre deux belles mers bleues, Tyrrhénienne et Adriatique. Et enfin le Graal : à San Remo, des voltigeurs vont tenter de gagner une classique de 300 bornes, avec deux vélos et demi d’avance sur une meute de sprinteurs après avoir débranché leurs cerveaux oxydés par une montée épileptique sur la plaque. La beauté de la chose : tout ceci se passe dans un laps de temps de 15 jours. Deux semaines plus condensées que la flotte qui vient se coller aux vitres des bus bondés ! Ça pue les watts et l’électricité, tout ça.
Un dépassement de fonction jubilatoire
Milan-San Remo c’est 300 kilomètres plutôt plats (à quelques coups de cul près), soit la course la plus longue du calendrier, et une musicalité immuable qui fait son charme : on s’y fait chier. C’est en cela qu’elle est magnifique, parce qu’une rupture de cette molle continuité y est à chaque fois attendue comme le Messi en finale de Coupe du Monde. 280 et quelques kilomètres de sieste, puis soudain la bascule dans l’hystérie collective à l’occasion des vingt derniers kilomètres et des capi, ces ponts d’autoroute que sont la Cipressa et le Poggio. Avalés sur la plaque, ces tremplins nous offrent le privilège unique d’être témoins d’une baston qu’on ne retrouve nulle part ailleurs dans le calendrier cycliste : puncheurs, sprinteurs, grimpeurs, descendeurs et rouleurs croisent le fer. Eux d’habitude enfermés dans leur case précise, se frottent enfin ensemble vers le même but : la victoire sur la Via Roma après une descente kamikaze. La Classicissima est un dépassement de fonction jubilatoire, une grande torgnole enragée à la typologie de ce que sont censés être les coureurs. Milan-San Remo est de fait la seule course où un grimpeur freluquet peut s’imposer au terme d’un final à couper le souffle, trois mètres devant un puncheur s’offrant une meute de sprinteurs ébouriffés qui viennent de passer une bosse qu’ils auraient accepté d’escamoter dans d’autres circonstances. Mais au bout il y a un Monument, alors ça change tout. Électrique, on vous dit !
Une grande torgnole enragée à la typologie de ce que sont censés être les coureurs.
La dolce vita printanière
La Primavera (« printemps » dans la langue de Pippo Pozzato) a une saveur unique et une esthétique d’une douceur absolue. Le contraste entre la dolce vita qu’implique une telle situation géographique et son explosion d’adrénaline forme un cocktail que les plus grands mixologues n’oseraient tenter. Et il en émane ce parfum parfait : Milan-San Remo est une après-midi en terrasse à siroter un café serré sous un soleil timide mais rassurant, baigné dans une lumière rase et jaunâtre qui sent bon l’optimisme et les jours redevenant heureux au sortir d’un hiver gris.
L’Italie, celle que l’on rêve douce et désinvolte, est là comme jamais lors du troisième samedi de mars. Milan-San Remo est donc l’illustration divine de ce pays savamment bipolarisé entre son farniente et son sang chaud. Milan-San Remo donne envie de rien foutre, puis de parler fort. Milan-San Remo, c’est l’Italie.