En course, le peloton cycliste est indissociable de son bruyant cortège de voitures suiveuses parmi lesquelles on retrouve les fameux « directeurs sportifs ». Si tout le monde connait leur existence, peu sauraient expliquer précisément leur rôle et leur mode de fonctionnement. Levons donc le voile sur ces fameuses « voitures DS » !
Faisons dès lors taire une idée reçue : non, le directeur sportif n’est pas qu’un ancien coureur retraité qui passe ses journées à beugler dans un micro « Allez Nono ! » (ou « Allez Totophe », selon l’époque) derrière un coureur à l’agonie parti plus tôt le matin en échappée. Son rôle dans la course est autrement plus complexe : il n’y a d’ailleurs pas qu’un seul directeur sportif par équipe, mais deux. Deux voitures donc (nommées de manière très pragmatique « voiture 1 » et « voiture 2 »), chacune garnie d’un DS mais aussi et surtout d’un mécano, autre personnage-clé du cortège et binôme indissociable du directeur sportif. Si ce dernier régit le côté sportif et tactique en donnant des consignes au micro depuis le volant de sa voiture, le mécano assis à l’arrière du véhicule assure pour sa part un soutien matériel et technique en cas de pépin sur l’une des machines. Mais pas que : il occupe également le rôle de barman, prêt à ravitailler les coureurs en fouillant dans sa glacière ou encore d’habilleur sur-mesure, puisqu’il a à sa portée les fameux « sacs de pluie » d’où il peut extirper à la demande du coureur une paire de gants ou un gilet quand le souffle glacé de Vasil se répand sur la route de la Couillole.
Comme son nom l’indique, la « voiture 1 » est en première position dans le cortège, et la « voiture 2 » la suit. Mais cet ordre peut varier selon la physionomie de la course (accrochez-vous, y’a un piège) : si un coureur de l’équipe part en échappée, la « voiture 2 » double le peloton et se positionne derrière le groupe de fuyards et la « voiture 1 » reste au cul du paquet. L’ordre reste toutefois inchangé si les coureurs du team n’ont pas de fourmis dans les jambes et préfèrent se dorer la pilule au chaud dans l’essaim de sponsors colorés.
Et puis c’est tout ? Conduire une voiture pendant que les coureurs se font péter les varices en attendant un probable pépin mécanique serait donc l’unique occupation des DS et de leurs mécanos ? Que nenni ! Là où ça devient du sport (et un réel talent), c’est quand, justement, un coureur appel à l’aide. En effet : on ne le voit pas à l’antenne, mais les coursiers font bien plus d’aller-retour vers leur voiture suiveuse que vous ne le croyez ! Le ballet est même quasi-incessant, comme le chassé-croisé des vacanciers aoutiens et juilletistes sur l’autoroute du soleil.
Le mode d’emploi de la marche à suivre est alors simple :
– un coureur se manifeste à l’arrière du peloton et/ou appelle son directeur sportif pour lui faire part d’un besoin
– Radio-tour (à qui rien n’échappe et sur laquelle sont branchés sans relâche les directeurs sportifs) en fait part à la radio
– le directeur sportif en « voiture 1 » l’entend, prend contact avec son coureur via l’oreillette et lui demande quel est son besoin
– le mécano anticipe et prépare de quoi assouvir le besoin du coureur (boisson, réglage mécanique ou vêtement)
– le directeur sportif entreprend une manoeuvre pour doubler toutes les voitures de DS qui le précèdent
– la voiture arrive au cul du peloton, le coureur se place du côté du conducteur et reçoit ce qu’il a demandé, de la main du DS (ou un dépannage mécanique)
– une fois la commission terminée, la voiture se laisse dépasser et reprend sa place dans la file
Facile, sur le papier. Mais une véritable prouesse en réalité ! Vous le savez comme nous : pour chaque course il y a un classement général. Mais celui-ci est loin d’être anodin puisqu’il il donne en réalité le placement que devront occuper les voitures de DS dans la file derrière le peloton selon le classement de leurs pensionnaires. Si vingt équipes participent à la course, le cortège se compose alors ainsi : les vingt « voitures 1 » de chaque équipe dans leur ordre de classement, puis les vingt « voitures 2 » de chaque team dans le même ordre. Autant vous dire que si vous êtes la « voiture 2 » de la vingtième écurie classée et qu’aucun de vos coureurs ne prend l’échappée, vous ne verrez pas grand chose de la course et vous n’aurez d’autre utilité que clore la marche, loin, très loin derrière le peloton. C’est alors la « voiture 1 » qui assume le rôle de dépannage mécanique ou de ravitaillement lors des appels à l’aide de ses coureurs restés au chaud dans le peloton. D’où l’importance d’être bien placé au classement, car plus vous êtes loin dans la file, plus votre coureur en détresse attend à l’arrière !
Si les routes sont étroites et sinueuses, cela tient de la prouesse quand il s’agit de dépasser tout un cortège puisqu’il faut alors slalomer entre les autres voitures de directeurs sportifs, les motos suiveuses et les coureurs attardés (et le public indiscipliné, parfois, prêt à se jeter sous les roues d’un bolide pour choper un bidon Delko-Marseille Provence…). Un bon DS est donc aussi un talentueux pilote qui n’a pas froid aux yeux et capable d’entreprendre des manoeuvres de dépassement au millimètre sans causer d’accrochage (notamment dans les descentes techniques où les voitures peinent à suivre le rythme effréné du peloton !). Plus le directeur sportif peine à remonter son bolide vers l’avant, plus le coureur en stress voit le temps lui échapper. Il faut donc pouvoir gérer la pression et faire preuve d’un sérieux sang-froid au volant. Le mécano quant à lui doit être organisé pour être réactif au maximum, et faire preuve d’une faculté qui semble anodine au premier abord mais totalement indispensable : avoir « le pied marin ». En effet, pendant qu’il fouille dans le coffre ou prépare une boisson à l’arrière du véhicule, il est trimballé dans tous les sens comme une chaussette dans le tambour d’une machine à laver ! D’où l’importance de ne pas avoir le mal de mer et d’avoir le coeur bien accroché pour assurer en cas de pépin et garder toute sa sérénité.
Un autre point dont on n’a pas vraiment consicence mais qui est à souligner pour démontrer la difficulté de l’excercice : pendant que le mécano se débat à l’arrière, il n’est pas rare de voir le DS parler à ses troupes au micro, faire une manoeuvre de dépassement au poil de cul entre un coureur attardé et une moto suiveuse, noter un écart sur sa feuille de route et jeter un oeil à son petit téléviseur qui diffuse l’étape. Un véritable exercice pour le directeur sportif, improbable couteau-suisse multitâche installé au volant de son bolide. Vraiment : tout cela compilé relève de la prouesse.
Le DS est également tenu d’informer ses coureurs via l’oreillette sur le déroulé de la course, sur un danger à venir, sur le sens du vent, sur le kilométrage avant une difficulté, sur les écarts, sur la particularité de la route ou sur le résultat du quinté si ça le chante… Il connait le profil de l’étape par coeur et maitrise la cartographie au kilomètre près, rigoureusement étudiée la veille. Également soutien tactique (ou moral des coureurs en détresse qu’il double pour laisser la « voiture 2 » s’en occuper), il a un rôle de mentor voire même de psychologue, n’hésitant pas à encourager et exhorter ses protégés à se faire mal à la gueule.
La vie n’est donc pas qu’un long fleuve tranquille derrière le peloton où l’ambiance est finalement à la concentration et à la tension plus qu’à la musarde. En plus de la gestion tactique et technique des coureurs, il s’y tient une véritable et furieuse « course dans la course » entre automobiles. Notez que si le binôme DS-mécano est indispensable, il est également complété par le rôle des « assistants », ces soigneurs partis en éclaireurs et postés le long de la route à différents points stratégiques pour distribuer aux coureurs une musette, une veste ou du thé chaud par exemple. Indispensables aux exploits de leurs coureurs pour répondre à tous leurs besoins de coursiers et pour les driver dans leur quête de sommets, les voitures DS abritent donc des hommes de l’ombre aussi incontournables qu’une attaque de Pierre Rolland. Des hommes discrets planqués derrière des vitres teintées mais sans qui la course n’existerait pas, de même que les images fortes de « gueulantes à la Madiot », cette infime partie visible de l’iceberg que Tout le Sport aime diffuser les soirs d’étape, mais qui ne reflète pas à 100% l’ardeur du métier.
Merci au Team Direct Energie de nous avoir permis de voir les coulisses de son équipe sur Paris-Nice, et notamment à ses directeurs sportifs Lylian Lebreton et Benoit Genauzeau de nous avoir accueilli dans leurs voitures lors de l’étape Nice-Valdeblore La Colmiane !