La reprise cycliste post-coupure est l’une des plus grandes douleurs que l’Homme puisse connaitre, après l’accouchement et l’auto-destruction de tibia contre un coin de table basse. Imaginez alors cette même reprise post-coupure, après huit ans sans poser le cul sur une selle. Sur l’échelle de l’Humain, ça équivaut à accoucher d’un coin de table basse par le tibia. Sur l’échelle du cycliste, c’est plus violent qu’une attaque supersonique de Van der Poel dans un raidard, qu’il te ferait subir après avoir mangé ton poids en acide lactique et en poussière blanche (laissez Luca Paolini hors de tout ça). C’est pourtant ce que j’ai vécu. Voici donc le témoignage poignant d’un cycliste en hypoglycémie.
Ça part sur du gravel
Le Team Dans la Musette m’ayant fait confiance pour porter leurs couleurs cette année et cherchant un bon prétexte pour mériter de boire une bière (autrement qu’en me l’auto-accordant le soir pour me féliciter d’avoir survécu à une nouvelle journée de 2021), irrémédiablement, il fallait bien que je m’y remette un jour. L’objectif avoué étant de rouler plus pour bouffer plus certes, mais surtout de remettre un dossard dans mon dos usé par plusieurs années de canapé et de vaines tentatives de faire 37 pompes le matin avant le petit-déjeuner.
Comme vous l’avez remarqué, capillairement parlant je suis plus proche de Jérôme Cousin que de Tom Boonen. Ce n’est pas un hasard : « Couz » est mon idole. Grand baroudeur adepte de l’entrainement sur vélo de gravel, j’ai donc choisi pour ma reprise d’imiter le maître chevelu des chemins de gravier et d’enfourcher ce fameux vélo ni-vraiment-route, ni-vraiment-tout-terrain. Parce que c’est la mode, parce que je n’ai désormais plus peur des graviers dans les nids de poule et surtout parce que ça fait du like facile sur Instagram. Car en gravel, même aller chercher son pain ressemble à une aventure. #gravel
Le retour du cuissard
Avant cela, je re-découvre l’émotion intime d’enfiler un cuissard, et l’occasion de ressembler succinctement à un catcheur ringard des années 80. Devant le miroir, toutes cuisses écartées pour positionner idéalement ce que vous savez, torse-nu sous les bretelles : tout ceci a à peu près autant d’allure qu’un sprint massif lancé à 600 mètres de l’arrivée par Guillaume Martin. Il ne reste alors plus qu’à enfiler le maillot en priant pour qu’il ne manque pas de tissu au niveau du ventre, et c’est parti.
Premier oubli : j’ai omis d’enfiler ma ceinture de cardio. Peu emballé par l’idée de perdre 18 précieuses minutes de ma vie à enlever tout cet attirail de tissu moulant pour coller contre mon coeur ce glacial coup de poignard qui fait le tour de mon torse (avant de tout remettre et de reperdre 18 précieuses minutes de ma vie), je décrète que je suis un cycliste « qui roule aux sensations » et que je n’ai pas besoin de voir en direct que mon coeur va exploser au moindre pont d’autoroute. Cette fois c’est la bonne, vamos ! #NoPainNoTartines
Le temps est bon, le ciel est bleu.
Quelle douce sensation que de redécouvrir l’air qui fouette ma tête casquée et démasquée… Une bouffée de liberté rare, que seul le cyclisme ou l’assassinat gratuit d’un passant dans GTA peut offrir. Les jambes tournent sans prise de tête et bouffent leurs premiers kilomètres sans sourciller, quand un flash-back vient soudain troubler ma quiétude : j’ai oublié ma chambre à air de secours. La flemme de faire demi-tour et de faire retomber la moyenne s’empare logiquement de moi. Je décide en conséquence de serrer les fesses et de faire autant de prières que de calculs savants : en cas de crevaison, la distance parcourue par ma copine pour venir me chercher en voiture sera proportionnelle à son énervement. Ce qui dans le pire des cas nous placera sur l’échelle de sa colère au niveau du jour où je lui ai fait croire qu’on allait faire « une virée romantique en montagne », alors qu’en réalité je l’emmenais voir une étape du Dauphiné sous la flotte. Ça devrait le faire. #CoupleGoal
Le temps est long, les jambes pas au mieux.
Toute bonne chose a une fin. Les trois premières semaines de juillet ou le fond du pot de Ben et Jerry’s Peanut Butter Cup nous le confirment chaque fois. Et après 16 kilomètres de légèreté, je viens enfin buter, logiquement, dans les contreforts du premier col que je souhaite m’infliger pour me prouver que reprise ou pas reprise, je suis un warrior t’as vu. Ça ne tourne plus vraiment rond, et ma fesse gauche (après concertation avec celle de droite) décide de m’envoyer quelques insidieux foudroiements électriques douloureux dans les reins jusqu’à la selle. Je décide en conséquence d’arrêter de mettre les mains en bas pour me la péter, et passe à une position un peu plus cyclo-sportive, et beaucoup moins instagramable.
Le souffle est de plus en plus court, jusqu’à devenir plus abrégé que le passage de Joseba Beloki chez les Brioches la Boulangère. Le papy-cyclo que j’ai fièrement dépassé dans la plaine me rattrape, recolle et me dépose comme un Colissimo à la Poste avec son maillot sur-coloré de l’Ardéchoise 2007. Je l’imagine sourire en coin et me qualifier de petit con, et ça fait exploser davantage mon cardio. Petit plateau, je monte des dents derrière et m’asphyxie en tentant de passer sept secondes en danseuse… Il faut se faire une raison : je vais devoir monter en gestion et « lisser mon effort » (comme dit Jaja sur France Tévé). À l’horizon, le point de mire multicolore que représente papy-cyclo devient de plus en plus petit, et je perds définitivement le contact visuel à la faveur d’un virage fatal. #EddyStancé
La solitude du coureur de fond
Je me sens alors seul, abandonné, comme un astronaute éjecté de la station spatiale internationale et tournoyant dans les ténèbres de l’infini. Je suis la chaussette manquante qui se planque dans le tambour de la machine à laver. Je suis vidé, creux et bancal comme un discours de la Cérémonie des Césars. Je souffre au rythme de mes expirations qui se font de plus en plus rapprochées, et je n’ai plus qu’un obsession : la bascule.
Pas la bascule de France Tévé, celle qui rythme nos après-midi d’été en nous extrayant de nos plus profondes siestes, mais bien celle de ce col. La vie n’étant pas si mal foutue, toute montée possède sa descente et la logique devrait être respectée. Sauf si mon GPS a décidé de se foutre de ma gueule (à peu près autant que le papy-cyclo qui m’a doublé en bas et qui à l’heure qu’il est, doit déjà manger un bout de saucisson dans la descente).
Les sapins sont de moins en moins hauts par dessus la route, l’horizon se dégage, il fait plus clair et la pente s’adoucit. J’ai réussi. #EddyLapidé
Trois pâtes de fruit dans la gueule
La pause au sommet d’un col est souvent l’occasion de satisfaire des besoins physiologiques fondamentaux : uriner, se nourrir ou encore prendre son vélo en photo. Le temps d’assouvir tous ces besoins dans un ordre plus ou moins logique, on peut vite se refroidir et le risque est de laisser cette désagréable humidité interne se transformer en colle glaciale plaquée contre son torse. Inutile donc de finir en pneumonie : 2% des cas sont mortels, et ça serait dommage de mourir sans voir Tibopino gagner le Tour.
Vélo enfourché, les lèvres collées par l’abondance sucrée des trois pâtes de fruits que je viens de m’enfiler, j’aborde la descente sans risque et me laisse propulser par le satisfaisant travail effectué conjointement par la gravité et ma prise de poids hivernale. Je me laisse donc glisser jusqu’à la plaine sans bazarder inutilement les quelques forces que j’ai retrouvées grâce à ce salvateur apport glucidique et ce grand shoot de diabète de type 2. #EddyGestion #EddyAbétique
Le retour du Roi
L’ultime quinzaine de kilomètres dans la plaine est une formalité. L’appel des Pépitos et des Prince de Lu (les bi-goûts chocolat-vanille, tu connais) prennent le lead sur la douleur et la fatigue. Le cerveau passe en sommeil relatif et le corps en pilotage automatique. Ce n’est pas une fringale mais les jambes tournent sans conviction, uniquement portées par l’envie d’en finir et d’entendre le salvateur pshit d’une capsule qui saute.
Le jour décline mais je n’ai pas eu l’énergie d’enlever mes lunettes. Les bagnoles me frôlent mais je n’ai plus la foi de leur adresser mon plus beau majeur tendu. Mon gros plateau devient trop grand mais comme j’ai les mains au centre du cintre, situées trop loin des cocottes, je n’ai pas la vigueur de passer sur la petite soucoupe et je croise ma chaine comme un gros connard. Il était temps d’arriver.
Comme un gibier fraichement abattu je m’effondre sur le canapé et reste là, mou et amorphe quelques dix minutes sans rien faire, fixant le visage de Michel Drucker en couverture du TV Magazine, le regard plus vide qu’un bar en période de Covid. Enfin, je parviens à rouler ma carcasse suintante jusqu’au frigo, et parviens à en arracher une bière.
J’ai survécu. #JeSuisMichel