Nice – Nice (190 km)
Christophe Laporte et sa tunique jaune sont ovationnés par le peuple niçois ce matin, même si pour Monique, cela lui en touche une sans faire bouger l’autre. La niçoise de 76 ans pratiquant le topless depuis 1984 (et malheureusement toujours en 2020) est adepte de la chasse aux bulots sur rocher humide. « Christophe qui ? Qu’est-ce que vous me faites chier avec votre histoire de porte ? Toute la ville est bloquée avec vos conneries ! » nous fait remarquer de sa voix éraillée la charmante vieille dame aux cheveux rouges, aussi indifférente qu’hostile au spectacle qui se joue aux alentours de sa plage fétiche.
À quelques pas du rocher de Monique, vers le podium de signature, l’ambiance est plus chaleureuse. Une jeune midinette éprise de Jakob Fuglsang lui chante son amour à coups de Google Traduction français-danois, une petit garçon exulte en obtenant la signature de Jasper De Buyst (qu’il ne connait même pas mais balek) sur son t-shirt jaune beaucoup trop grand, et un quinquagénaire en pantacourt et à la moustache sévère essaye discrètement de piquer un bidon Arkéa-Samsic sur le vélo de Kevin Ledanois. Le Tour de la France dans toute sa splendeur, messieurs-dames.
Du côté des acteurs de la course, l’ambiance est moins festive. Et pour cause : ils vont devoir grimper à plus de 1500 mètres d’altitude par deux fois et cela dès le deuxième jour de course. Une première ! Avec une double ascension Colmiane-Turini loin de faire rire les mouettes, Mario Cipollini aurait fait un malaise vagal en consultant le road-book. Chris de Nice, ses grosses cuisses, son habit de lumière et tous les sprinteurs se savent condamnés d’avance. C’est donc l’heure de la revanche pour les petits culs de grimpeurs, qui d’habitude doivent ronger leur frein une bonne semaine avant d’aller chercher du dénivelé et passer sur le petit plateau, cet instrument de torture moderne. Cela n’empêche pas Peter Sagan, très décontracté sur le podium, de dessiner une bite sur le tableau de signature officielle.
Dès le départ, le ton est donné : l’échappée du jour peut être la bonne échappée sur un tel profil, Titi Adam l’a bien assez répété lors de l’émission d’avant-Tour pendant laquelle Zaz a chanté et Michel Leeb donné son avis sur l’actualité. On assiste donc à un festival d’attaques de tous les côtés jusqu’à La Bollinette (ceux qui ont vu Astérix Mission Cléopâtre esquisseront un sourire), pied du col de la Colmiane où aucune différence n’est faite pour le moment. Dès les premières pentes, on y voit plus clair puisque Pierre Rolland paré de ses pois rouges se tire la bourre avec Thomas De Gendt (Lotto-Soudal), Alexey Lustsenko (Astana), Quentin Pacher son équipier et Roman Kreuziger (de l’équipe NTT et toujours en activité semblerait-il, même si on avait oublié son existence depuis novembre 2012). Christophe Laporte est déjà en difficulté et cède du terrain au peloton, savourant son maillot jaune à chaque mètre qui défile, accompagné des autres sprinteurs qui ont baissé pavillon et qui commencent déjà à mendier des poussettes aux spectateurs en échange d’un bidon collant qui pue l’orange et la bave séchée.
Pierre Rolland prend les points au sommet de la Colmiane après un sprint disputé avec Kreuziger, barré par Pacher qui protège son équipier en prenant la deuxième place. Le même scénario se dessine dans le Col de Turini et El Pedrito Nacional consolide sa varicelle.
Un fait de course est toutefois à signaler dans la descente de Turini, où on a pu apercevoir un jeune homme jeter des clous de tapissier sous les roues de Wout Van Aert, qui à l’aide d’un sublime bunny-hop a réussi à éviter de peu la catastrophe. On n’en saura pas plus, mais il a été relevé que l’auteur du méfait est monté à bord d’une Porsche immatriculée « MVDP01 » avant de disparaitre. Quant à eux, les cinq hommes de tête (le « club des cinq » comme l’appelle Titi Adam sur la moto 2) basculent avec 3’50’’ d’avance sur le peloton où tous les favoris ronronnent tranquillou-bilou, et au sein duquel Alejandro Valverde tout sourire plaisante avec Nelson Oliveira en faisant des gestes inappropriés dans le dos de Mikel Landa, qui n’a pourtant rien demandé à personne. Foutez-donc un peu la paix à Mikel, merci.
Cette avance fond et ne culmine plus qu’à 1’30’’ à l’approche du Col d’Èze (situé à une quarantaine de kilomètres de l’arrivée), jusqu’auquel rien n’a été à signaler sinon une poignée de paires de fesses montrées en direct à la télé par quelques jeunes gens alcoolisés à la Kronenbourg tiède. De Gendt se sentant menacé comme un sanglard en pleine battue panique et embraye comme un vieux tracteur qui en a encore sous le capot. Seul Lutsenko peut le suivre au prix d’une montée d’acide lactique à faire pâlir un teufeur berlinois. Ils ne sont plus que deux en tête quand au moment où le maigre peloton d’une quarantaine d’unités avale Pierre Rolland et ses potes, on assiste à une attaque de… Richie Porte !
L’australien malheureux la veille en perdant plus de trois minutes sur chute tente (déjà) le tout pour le tout et s’isole du groupe. Il virevolte, pourtant bandé de partout tel une momie et revient bille en tête sur le duo de tête, pas malheureux de trouver du renfort à une vingtaine de kilomètres de l’arrivée. Le trio fait une descente folle jusqu’au Col des Quatre Chemins, dont le sommet est situé à une dizaine de bornes de Nice et où basculer en tête peut être synonyme de victoire. Manquant de fraicheur, Lutsenko est le premier à rendre les armes et De Gendt finit par exploser lors d’une ultime accélération de Richie qui bascule avec 30 secondes d’avance sur le peloton amaigri et qui ne compte plus qu’une petite trentaine de coursiers, emmené à un rythme fou par la Deuceninck-Quickstep d’un Julian Alaphilippe bien décidé à gouter à nouveau à la folie juillettiste et aux serrages de paluches d’élus locaux sur le podium.
Sous la flamme rouge, Porte possède 9 secondes d’avance et fonce tête baissée dans les rues de Nice vers cette ligne d’arrivée qui lui fait de l’oeil. « Il a courseuh-gagnée Riteuchie Porte, bravo, bravo Riteuchie ! » explique Jaja aux millions de téléspectateurs qui n’ont déjà plus d’ongles à ronger. Quand soudain… L’australien semble piocher aux 300 mètres, n’arrive pas à relever le cul de sa selle pour relancer son allure déclinante alors que la meute affamée s’approche dangereusement, et s’arrête net, grimaçant.
C’est la crampe, Thierry. C’est fini pour Richie-la-poisse. « Ah shit, here we go again ».
Le coureur de Trek-Segafredo ne peut plus pédaler et baisse la tête au moment où le peloton l’avale, gênant au passage Julian Alaphilippe qui doit marquer un temps d’arrêt fatal. Maximilian Schachmann prend les devants et s’offre un coude-à-coude sublime avec Gorka Izaguirre (dont on se demande ce qu’il fout là), que finit par remporter… Alejandro Valverde ! Le dinosaure espagnol, fraichement déterré d’une fouille archéologique du mésozoïque déboule par derrière et saute l’allemand sur la ligne, levant les bras comme quinze ans auparavant quand il battait Lance Armstrong à Courchevel, au temps de l’eau claire et de la tisane pour s’endormir. Immortel murcian.
Le vétéran de Movistar s’empare donc du maillot jaune et crachote quelques postillons très peu Covid-friendly en détaillant sa course à la télévision espagnole (nous le répétons jamais assez mais la langue ibérique est dégueulasse : entre crachats, zozotements et rota disgracieuse, cette langue n’est pas hygiénique et vous le savez). « J’ai plus de liberté depuis que l’équipe s’est débarrassée du boulet… euh, de Nérokintana » explique-t-il avant de reprendre : « Je me sens plus jeune que jamais, tant que ma calvitie n’aura pas gagné je continuerai ! Défendre ce maillot ? Évidemment. Faut juste qu’Enric Mas fasse pas trop chier avec l’autre là, comment il s’appelle déjà ? Marc Soler, oui voilà. »
Il y a fort à parier que Netflix aura de la matière pour faire une saison 2 sur l’équipe Movistar ! La suite demain, avec une étape un peu plus douce entre Nice (encore, il a sorti un sacré chèque l’ami Estrosi) et Sisteron.
Classement général :
1. Alejandro Valverde (MOV)
2. Maximilian Schachmann (BOH) + 4’’
3. Gorka Izaguirre (AST) + 6’’
4. Julian Alaphilippe (DCQ) + 10’’
5. Emmanuel Buchmann (BOH) + 10’’
6. Mikel Landa (BAH) + 10’’
7. Sergio Higuita (EFP) + 10’’
8. Geraint Thomas (INE) + 10’’
9. Primoz Roglic (JBV) + 10’’
…
168. Christophe Laporte (COF) + 9’56 »