Bourg-en-Bresse – Champagnole (160 km)
L’atmosphère de ce Tour joué à coups de secondes est étouffante. Cette étape n’est jamais qu’une transition vers l’impitoyable et décisif chrono final, mais on sent le peloton nerveux comme un mauvais steak sur la ligne de départ à Bourg-en-Bresse, capitale mondiale du poulet et de la farine de gaude. Sur le road book officiel du Tour, le chevauchée vers Champagnole est répertoriée comme « plate », ce qui est loin d’être le cas dans la réalité puisqu’on est davantage sur une typologie casse-pattes que sur du billard. Cela risque d’être compliqué pour les équipes de sprinteurs de contrôler la course, surtout en troisième semaine et à l’avant-veille de leur jour de lumière sur les Champs Elysées. À la question de savoir si Sagan allait mettre son équipe à la planche ce jour, le maillot vert a répondu par une onomatopée étrange, une sorte de « néééé » bizarre, accompagné d’une moue d’autant plus étonnante, avant de repartir en faisant le signe de Jul avec les mains. Le ton est plus ou moins donné.
Un court vent de panique a soufflé au départ où Thomas De Gendt, soit blagueur soit complètement allumé et/ou audacieux, a tenté vainement de s’échapper (on ne saura jamais s’il a vraiment tenté de renverser le Tour ou s’il voulait juste donner un coup de speed à Nérokintana, histoire de se marrer). L’histoire n’aura pas duré, le sanglard belge étant vite rappelé à l’ordre par la garde rapprochée du maillot jaune colombien.
On comprend rapidement que la course va se jouer entre les échappés (tout autre personne que De Gendt, finalement), puisqu’après une première heure de course disputée sur les routes aindinoises (les drapeaux jaunes « ici c’est l’Ain » visibles de partout nous confortent bel et bien dans l’idée que nous sommes dans le 01), les équipes de sprinteurs ne font rien pour empêcher les audacieux de se barrer. Il y a peu de côtes répertoriées mais beaucoup d’ascensions plus éprouvantes qu’elles n’en ont l’air, et les échappés s’en régalent : à la mi-course, un petit groupe de 12 coureurs possède plus de dix minutes d’avance. Derrière, Arkéa, Groupama-FDJ, Bahrain et Ineos se trainent sur un rythme de sénateurs pour éviter à leurs poulains de se faire piéger par un quelconque danger. La course est jouée, nous assisterons donc à une pure étape de transition. Une journée dont Pierrick Fédrigo ou encore Sandy Casar auraient raffolé.
La majorité des esprits sont tournés vers la Planche, et on sent que seuls les 12 hommes de tête sont concernés par la course. De fait : il y’a autant d’action que dans un drame social polonais diffusé sur Arte le jeudi soir à deux heures du matin. Inutile de vous cacher qu’on a trop envie d’être demain pour profiter d’aujourd’hui. Aussi nous nous permettons de citer le philosophe contemporain Faf Larage pour illustrer notre mood du jour : « J’ai pas l’temps, mon esprit est ailleurs ».
Dans la côte menant à Bief-de-Maisons (à 27 kilomètres de l’arrivée), Benoit Cosnefroy (AG2R La Mondiale) fausse compagnie à ses petits copains de fugue, et est bientôt rejoint par Philippe Gilbert (Lotto Soudal) et Daniel Navarro (Israel). Enterrement de première classe derrière : le podium du jour est dessiné, reste à savoir dans quel ordre. Aucun des trois coureurs de tête n’arrive à se séparer des autres, malgré les nombreuses tentatives téléphonées de l’espagnol de se barrer dès qu’un début de bosse vient naitre sous ses roues. Gilbert est dans le contrôle total de son destin, laissant Cosnefroy, plus flippé que lui, assumer les nombreuses chasses. « Il savait que j’étais nerveux. Philippe, il a déjà tout gagné à part Milan-San Remo donc à la limite, il s’en foutait. Moi, j’avais peur de perdre et je sautais sur tout ce qui bougeait. » déclarera le petit prodige français à l’issue de la course.
À trois kilomètres de l’arrivée, Navarro tente une dernière fois de prendre la poudre d’escampette et le jeune Benoit semble un peu court et surtout trop épuisé pour aller le poursuivre une onzième ou douzième fois. Gilbert et Cosnefroy se regardent un moment puis on entend le belge dire au français : « Tu veux que j’aille te le chercher, gamin ? ». Cosnefroy n’a pas le temps de répondre que le classieux coursier de Lotto Soudal lui fait signe de prendre sa roue, avec un signe caractéristique de la main lui haranguant de venir se glisser derrière lui. Un vrai daron, le Philou ! Gilbert se dépouille pour aller chercher l’homme seul et dépose Cosnefroy tel un colis dans le sillage de l’espagnol à 800 mètres de l’arrivée. Cosnefroy lance son sprint, fatigué, mais un peu moins que ses deux compères et s’impose avec l’élégance qu’on lui connait. Nul doute que cette victoire de prestige donnera au coureur français l’élan nécessaire pour définitivement lancer sa prometteuse carrière.
En passant la ligne en troisième position, Gilbert esquisse un léger rictus de satisfaction. Et il peut sourire : il ne le sait pas encore mais en mars 2021, Cosnefroy lui rendra la pareille en allant chercher Nibali dans le Poggio, permettant au belge de s’imposer en solitaire sur Milan-San Remo et de cueillir le dernier Monument qu’il manquait à son palmarès. Cosnefroy, lui, remportera la Primavera en 2026. Dans le vélo plus qu’ailleurs, tout n’est que cycle. Et ce 17 juillet 2020 aura écrit le début de cette belle histoire.
Classement général :
1. Nairo Quintana (ARK)
2. Thibaut Pinot (GPF) + 12’’
3. Mikel Landa (BAH) + 17’’
4. Primoz Roglic (JBV) + 43’’
5. Miguel Angel Lopez (AST) + 1’06’’
6. Sergio Higuita (EF) + 1’06’’
7. Egan Bernal (INE) + 1’09’’
8. Thomas De Gendt (LTS) + 1’15’’
9. Julian Alaphilippe (DCQ) + 1’47’’
10. Christopher Froome (INE) + 2’35’’
11. Tom Dumoulin (JBV) + 2’39’’
12. Geraint Thomas (INE) + 2’49’’
13. Steven Krujidfdksie (JBV) + 2’52’’
14. David Gaudu (GPF) + 4’09’’
15. Tadej Pogacar (UAE) + 4’21’’
…
Maillot à pois : les vrais savent
Maillot vert : tu connais
Maillot blanc : Higuitaaaa
Combatif du jour : Navarro