Châtelaillon-Plage – Poitiers (167 km)
Lendemain de bordure et de putsch, étape plate, noms de patelins qui puent l’arrivée au sprint sur une ligne droite de 1,5 kilomètres et soleil de plomb. Vous la sentez venir la sieste, et l’après-midi à faire des aller-retours au congelo pour s’envoyer des Magnum vanille-chocolat blanc ?
Voyez-vous, ce n’est finalement pas si mal, car ce Tour de la France électrique et en constant mouvement mérite bien un petit temps-mort, pour les coureurs comme pour le public. La tradition de l’ennui ne doit pas se perdre au profit du spectacle à outrance, car le Tour est depuis toujours une forme d’éloge du rien-foutre assumé. Il nous apprend à nous ennuyer et à aimer ça, à ne pas culpabiliser d’être amorphe sur un canapé et à ériger cela au rang d’art de non-vivre. Alors oui, aujourd’hui on ne va probablement pas tressaillir, mais on va prendre le temps d’apprécier de glander. Car c’est bel et bien un luxe.
Le nouveau leader Julian Alaphilippe pourra parader sereinement dans les marais poitevins après son coup d’éclat de la veille. Le français a pris ses habitudes auprès du coeur du public juilletiste, et retrouve le maillot jaune comme un vieil ami avec qui rien ne change malgré le temps qui s’écoule entre deux visites. Du côté de chez Ineos, grands vaincus de la veille, l’humeur n’est étonnamment pas particulièrement maussade. « On peut perdre une bataille, mais pas la guerre, toussa toussa » : depuis hier, la même rengaine est chantée à tue-tête par l’encadrement de l’équipe britannique, affamée de jaune et passée au jeûne forcé.
Pendant le départ fictif, Alaph et Sagan, respectivement en jaune et en vert, font le spectacle en faisant une petite battle de wheeling. Le slovaque l’emporte en allant plus loin que le français, et Specialized se frotte les mains de ce coup de projecteur abondamment relayé sur les réseaux sociaux.
Suite à cet interlude, l’inévitable échappée condamnée à l’échec prend forme avec en son sein un trio franco-français composé de François Bidard (AG2R), Thibault Guernalec (Arkea) et Julien Simon (Total-Direct Energie). Leur unique récompense sera un joyeux bain de foule dans des paysages sympas agrémentés de parasols, de camping-cars et de bobs colorés. Il flotte comme un air de vacances sur le lieu de travail des coureurs, et la compétition qui d’habitude leur tend les nerfs laisse place en ce jour détendu à une grande fête itinérante au milieu des odeurs de barbecue et des coucous de spectateurs adressés aux hélicoptères.
Vous vous doutez bien que les fuyards n’auront rien de mieux que trois-quatre minutes de liberté pour profiter de leur escapade poitevine. Derrière, les Deceuninck-Quickstep ont deux bonnes raisons de contrôler le rythme : la défense du maillot jaune et l’offensive pour Sam Bennett, toujours fanny sur les sprints de cette Grande Boucle audacieuse où les occasions de briller sont rares pour les gros culs.
Rien de mieux ne se passe : quand on entend davantage la voix de Franck Ferrand que celle d’Alexandre Pasteur, c’est souvent le signe d’une après-midi paisible. Aucune mésaventure de Richie Porte n’est à déplorer pour relever cette sauce qui manque de piquant, mais comme un paquet de réglisse balancé par la caravane Haribo alors qu’on lorgnait sur les Dagribus, on saura s’en contenter.
Ainsi soit-il : après une dernière attaque combative de François Bidard, les pressés se font revoir à 19 kilomètres de l’arrivée et le peloton s’approche de l’arrivée sans encombres, comme si un accord tacite avait été signé pour que cela ne se fasse pas autrement qu’au sprint.
La longue ligne droite finale est propice à l’organisation et tout roule vite et fort. Ça fait bim bam boum, ça fait pshit et ça fait vroum. Oss met Sagan sur orbite pendant que du côté opposé de la route, Ewan prend le sillage de Coquard. Plein centre, Bennett lutte avec Kristoff, Greipel et Viviani, bref : têtes baissées comme des buffles du Cap, les solides gaillards écrasent les pédales comme s’ils voulaient alimenter Poitiers en électricité pour les douze prochains jours.
L’irlandais se détache facilement du lot et pulvérise son pédalier jusqu’à la ligne d’arrivée où il a le temps de se lever, de gonfler le torse et de taper sur chacun de ses pectoraux avec ses poings serrés. La chose est faite, le contrat est rempli, la victoire nette et sans bavure. Ça plane pour le Wolfpack, qui aura ce soir deux bonnes raisons de se déboucher une Triple Karmeliet, ou une Maes 0,0% pour les petits joueurs. Mais dans une équipe belge en principe, on sait à quoi s’en tenir.
Classement de l’étape :
1. Sam Bennett (DCQ)
2. Caleb Ewan (LTS)
3. Peter Sagan (BOH)
4. Elia Viviani (COF)
5. Bryan Coquard (BBV)
6. Alexander Kristoff (UAE)
7. Christophe Laporte (COF)
8. Wout Van Aert (JBV)
9. André Greipel (ISR)
10. Niccolò Bonifazio (TDE)
Classement général :
1. Julian Alaphilippe (DCQ)
2. Primoz Roglic (JBV) + 4’’
3. Mikel Landa (BAH) + 6’’
4. Thibaut Pinot (GPF) + 10’’
5. Tom Dumoulin (JBV) + 10’’
6. Nairo Quintana (ARK) + 10’’
7. Steven Krujidfdksie (JBV) + 10’’
8. Sergio Higuita (EF) + 10’’
9. Miguel Angel Lopez (AST) + 10’’
10. Christopher Froome (INE) + 19’’
11. David Gaudu (GPF) + 34’’
12. Alejandro Valverde (MOV) + 44’’
13. Tadej Pogacar (UAE) + 54’’
14. Geraint Thomas (INE) + 56’’
15. Egan Bernal (INE) + 1’00’’
…
Maillot vert : Peter Sagan (BOH)
Maillot à pois : Pierre Rolland (BBV)
Maillot blanc : Sergio Higuita (EF)
Combatif du jour : Fabien Bidard (ALM)