La rousse accordéoniste était l’une des dernières encyclopédies ouvertes sur le Tour de France d’antan, cette Grande Boucle qui sentait bon la Suze et les années en noir et blanc. Une époque révolue où les campagnes étaient encore peuplés d’oiseaux bruyants, et où on étalait des nappes à carreaux vichy dans les champs pendant les chauds jours de juillet. 

Yvettes Horner a joué sa dernière valse hier, sonnant la fin du bal à cinq années d’un centenaire qu’elle aurait mérité de fêter pour service rendu à la patrie. Il faut dire que la musicienne tarbaise aux trente millions de disques vendus a fait briller les couleurs de la France au plus haut en remportant en 1948 la Coupe du Monde de l’accordéon, devenant la première femme à s’octroyer ce titre qui à la sortie d’une guerre mondiale, avait son importance. 
Tout redevenait frivole, plus léger, et le monde cabossé reprenait goût à la vie. À l’image du Tour de France qui de 1940 à 1946 était resté muet face à l’horreur en mettant en congé son joyeux cortège, et qui trouva la force de repartir du bon pied en 1947 dans le sillage de Jean Robic. Pendant ce temps là, Yvette répétait ses gammes et s’apprêtait à pousser sous les feux de la rampe la légende qu’elle aspirait à devenir.

C’est le Tour qui lança définitivement la carrière de la prodigieuse accordéoniste, en 1952. La rouquine malicieuse, juchée sur sa Citroën Traction Avant sponsorisée par Suze, eut pour mission d’enchanter la Grande Boucle avec ses mélodies à faire transpirer les danseurs badins des villages traversés, de sept à soixante-dix-sept ans, passionnés de vélo ou non. La mythique course cycliste venait de trouver son plus beau visage féminin, un sourire à la sortie de la guerre pour illuminer sa route.
Entre Yvette et le Tour de France, l’amour dura onze ans, onze années passées dans son cortège à donner une couleur à cette course cycliste encore en noir et blanc. Sa couleur désormais indélébile de bal musette ambulant, de grande fête populaire. Cette teinte jaune comme les blés, joyeuse et insouciante qui fait qu’on aime le Tour autant pour le spectacle proposé sur la route qu’à son bord.

Et si on l’aime comme il est, c’est en partie grâce aux doigts de fée de cette dame aux grandes boucles rousses, celle qui restera son éternelle fiancée et dont l’aura commence déjà à lui manquer.

Alors merci pour tout, Yvette.