L’exploit d’Alejandro Valverde nous a péniblement rappelé que le cyclisme ne pourra jamais se séparer de l’encombrant « oui mais » qui lui colle à la peau. Si l’espagnol a été flamboyant à Innsbruck, ses chaudes larmes au pied du podium n’ont pas réussi à émouvoir le monde comme elles auraient dû le faire unanimement après un tel récital. La faute à la suspicion, cette fichue suspicion. Cette putain de suspicion dont le cyclisme ne pourra jamais se débarrasser, traumatisé par son passé et encore victime de celui-ci. 

Alejandro Valverde, à 38 ans, a réussi à rompre le cercle maudit qui l’empêchait de triompher des championnats du Monde. Après avoir survécu à l’Enfer et ses 28%, le vétéran à la calvitie précoce a dominé le sprint final comme il le faisait déjà dans les rangs de l’équipe Kelme au sortir de ses 20 ans. Après cinq médailles mondiales au parfum d’échec, « el imbatido » est enfin allé cueillir son Graal. Dans l’instant à chaud c’était beau. C’était grandiose, c’était même une ligne dorée à ajouter fièrement à l’Histoire du cyclisme. « Oui mais »…

À froid, on se rappelle vite que Valverde est le coureur qui nous rend schizophrène par excellence : on aime le coursier sur le moment, dans l’instant cycliste pur. Puis on se souvient… Mais on l’apprécie quand même. Mais ça ne lui enlève pas son passé. Mais… 

On a aimé les envolées de Contador, mais… 
Richard Virenque est un super consultant, mais…
Bjarne Riis a été un bon directeur sportif, mais…
Le podcast de Lance Armstrong est drôle, mais…
Vous-Savez-Qui a fait un Giro magnifique, mais…
La Broche est une légende en France, mais… 
L’or olympique de Vino était splendide, mais…
Valverde est un sublime champion du monde, mais…

La question, plus que de pointer du doigt untel ou untel coureur, est donc de savoir quand ce fichu « mais » disparaitra définitivement de notre schizophrénie cycliste. Et Innsbruck ne nous a pas aidés. 

Oui, Valverde a été suspendu dans le cadre de l’affaire Puerto. Et il a payé, il a purgé, il est revenu. Au moins aussi fort. Trop fort pour être vrai ? Lui seul le sait, et s’il avait l’air en paix avec lui-même hier sur le podium autrichien, alors tant mieux pour lui et pour la crédibilité de ce sport. Valverde, pur talent indéniable, n’est finalement que le fidèle reflet de cette génération cycliste post-Armstrong, qui ne pourra jamais gagner en étant unanimement saluée à cause de son passé sulfureux plus collant qu’un bidon en fin d’entrainement. Un traumatisme qui nous hante et nous gâche le plaisir, vingt ans plus tard.

Que faut-il faire, dès lors ? Apprécier le cyclisme sans se poser de questions, avec une naïveté d’enfant béat, ou bien remettre en cause chaque mouvement d’un sport qu’on est censé aimer et que l’on se gâche bêtement… Nous n’arrivons pas à choisir, le cul solidement coincé entre deux chaises, deux choix, deux idéologies qui ne peuvent cohabiter et qui déchirent notre sport tant aimé.

Le cercle vicieux est alors sans fin : quand bien même Valverde ne gagnerait pas, celui qui le battrait serait donc aussi suspicieux ? Alors tous pourris, tous dopés ? Le plus gros mal du cyclisme est bel et bien de nous aiguiller vers de telles réflexions absurdes, alors qu’on devrait juste prendre du plaisir à le consommer et à le savourer sans amertume, en faisant confiance à ses acteurs et en regardant devant. Rigoberto Uran et son argent olympique londonien en savent quelque chose : il ne faut jamais regarder derrière sur le vélo, car rien de bon ne peut arriver quand on a l’oeil un peu trop collé dans le rétro.