Lyon – Le Grand Colombier (175 km)

Le peloton a bien gueuletonné à Lyon, mais il faut savoir quitter la plus belle ville du monde et se remettre en selle vers la montagne et la dernière ligne droite de ce Tour un peu fifou. On espère que les grattons, le Croze-Hermitage et le saucisson brioché ne sont pas restés sur l’estomac des coureurs, qui vont devoir se débarrasser du moindre gramme superflu pour se vider de leur plus belle sueur dans les pentes du redoutable Grand Colombier.
Thomas De Gendt est toujours orné de jaune, avec 4’02’’ d’avance sur Julian Alaphilippe, mais le sanglard belge se sent menacé. « J’espère que mes pédales porteront plainte pour violence aggravée ce soir » sourit le leader de la course au micro de Louis-Pierre Frileux, pas plus impressionné que ça par les raidards qui se dressent face à lui. Cette arrivée au sommet sera toutefois un bon test pour sonder les forces du coureur de Lotto-Soudal. Ce qui est certain, c’est que le monde se divise en deux parties bien distinctes ce matin : ceux qui disent que le belge va exploser et lâcher 5 à 10 minutes dans le Grand Colombier, et ceux qui disent qu’il va gagner le Tour de France. Pas de place pour la demi-mesure : on retrouve là l’équation à plusieurs inconnues que la Grande Boucle a tenté de résoudre l’année dernière avec Julian Alaphilippe. Mais la seule réponse se trouve dans les jambes de la bête à broyer du pédalier.

Sur la ligne de départ, Peter Sagan est détendu et présente fièrement son nouveau tatouage de la cathédrale de Fourvière, désormais dessinée sur l’épaule du slovaque. « Dès que le Tour est fini, je viens direct acheter un loft sur le plateau de la Croix-Rousse. Elle est trop cool votre ville et le tablier de sapeur c’est une tuerie ! » s’extasie le triple champion du monde, visiblement amateur de tripes. Quelques mètres derrière le radieux maillot vert, on assiste à un petit conciliabule Ineos. Froome, Bernal et Thomas semblent entrer dans une grande discussion dont on ignore la teneur. Qu’à cela ne tienne, les fauves sont lâchés.

Prudent, le peloton ne cherche pas à se faire trop de mal et une échappée timide se forme dans les portions plates qui mènent aux contreforts du Bugey et dans la Montée de la Selle de Fromentel (désolé, on n’a pas choisi le nom du truc). Et devinez qui s’y agite ? Pierre Rolland évidemment, bien décidé à récolter ses fameux points de grimpeur mais aussi… Richie Porte ! L’australien malheureux en première semaine s’est refait la cerise et fait montre d’une belle énergie en venant contrarier les efforts du français, qui finit par ailleurs par récolter ses petits pois au sommet de la Selle de Machin-truc, mais également dans le compliqué Col de la Biche. Son maillot est consolidé d’un bon coup de mortier entre deux moellons pendant que dans le peloton, on sent que la décision va se faire dans le Grand Colombier car la boule se contente de faire une course attentiste. Le calme avant la tempête…
Les hommes de têtes finissent par arriver dans les premières rampes du dernier col, où Richie Porte éparpille tout le monde avec aisance. Ses petits copains de récré du jour sont tour à tour avalés par le peloton désormais dirigé par Ineos, goulument lancé à la poursuite de l’australien qui reste seul en tête avec 1’30’’ d’avance. De Gendt, déjà esseulé, s’accroche en dixième position du peloton et semble souffrir du tempo britannique. On arrive à la moitié de l’ascension, dans le léger replat qui sert de palier quand soudain, au moment où personne ne s’y attend : Tadej Pogacar place une accélération tout à fait violente qui en surprend plus d’un. Le prodige slovène prend quelques mètres d’avance pendant que derrière, on assiste à un round d’observation.

La cadence redevient élevée, et on aperçoit Gaudu se faire mal et perdre huit ans d’espérance de vie en se tuant à la tâche en tête de peloton. On arrive dans les pentes à 12% de la bien-nommée Sapette puisque c’est ici que… ça pète ! Nérokintana sort comme un balle de la boule et calmement, bouche fermée, avale les pourcentages comme s’ils étaient des points jaunes et lui Pac-Man. Il revient aisément sur Pogacar qu’il dépose sans lever le cul de la selle. Derrière, on panique un peu (le colombien est troisième du général) et Jumbo-Visma décide de se sortir les doigts. C’est ici que Thomas De Gendt explose littéralement, s’arrêtant brutalement et se faisant enrhumer par le peloton des favoris à la faveur d’un secouage de cocotier de la part de Roglic, lequel est immédiatement rappelé à l’ordre par la Colombian Mafia (Higuita et Lopez) qui viennent le chercher, comme s’ils protégeaient Quintana. De Gendt pédale avec les oreilles cent mètres derrière ce beau monde et s’arrache comme s’il voulait décoller sa machine de ce satané bitume qui rend mal. Tout le monde est au rupteur, c’est plus raide que Chirac au Salon de l’agriculture et Tom Dumoulin en fait les frais ! Il lâche du lest, sa grande carcasse ayant du mal à se dresser sur les pédales dans ces insoutenables raidards. Valverde, Gaudu puis Pogacar se font dégager par l’arrière, puis Kruikhghuis pète à son tour ! Il y en de partout, le peloton est éclaté façon paquet de Skittles balourdé par terre, et chez Ineos on se regarde. Pire : on se surveille ! On a même l’impression que Froome va chercher Bernal à un moment où celui-ci tente de fausser compagnie au groupe de leaders sous le regard d’un Thomas médusé. Il semblerait que le conciliabule matinal n’ait pas été productif, et le rôle de leader toujours pas clairement distribué chez les rouge-et-noirs. Alaphilippe finit par exploser du groupe à son tour, et on l’entend se plaindre : « Marre ! C’est trop long ce truc, je préfère le Mur de Huy ! ». La course n’a plus d’allure : cette fin de calvaire ressemble plus à du sauve-qui-peut qu’à une partie de manivelles !

L’attitude placide de Quintana contraste avec la guerre qui se déroule 20 secondes derrière. Le colombien mange, digère et recrache un Richie Porte agonisant à 3 kilomètres de l’arrivée et s’en va triompher sans être jamais rejoint au sommet du Grand Colombier avec 20 secondes (+ 10 de bonifications) d’avance sur un petit groupe composé de : Mikel Landa facile second (6’’ de bonif), Bernal (4’’ de bonif) et Pinot, 4e devant Froome, Thomas, Lopez, Higuita et Roglic qui terminent à bout de souffle 4 secondes derrière. Les chaperons UCI doivent cueillir les coureurs même pas un mètre derrière la ligne, tant ils ont de la peine à donner un coup de pédale de plus.

Le temps s’égraine, cela fait plus d’une minute que Quintana a levé mollement les bras, et on attend Thomas De Gendt qui n’a toujours pas refait surface. On se dit qu’il va faire irruption dans une ou deux minutes quand soudain, le sanglard d’outre-Quiévrain déboule tête baissée bien plus vite qu’on ne l’attendait ! La bestiole a bien géré sa montée, et ne perd que 1’30’’ sur son nouveau dauphin colombien. Toujours vivant, toujours debout : il en faudra davantage pour abattre le maillot jaune, touché mais pas coulé au terme d’une journée erreintante. 

Souvent raillé pour son attentisme, Quintana est tout sourire sur le podium, salué par les « Nairo, Nairo » compulsifs de ses supporters, sympathiques mais tout à fait chiants à la longue. Le grimpeur a réussi à prouver qu’il savait prendre les choses en main et semble libéré depuis qu’il a quitté le bleu-produit-à-chiotte de Movistar pour le rouge corrosif d’Arkéa. Aujourd’hui, dans le Grand Colombier, il est passé de petit colombien à grand colombien.

Classement général :

1. Thomas De Gendt (LTS)
2. Nairo Quintana (ARK) + 2’24’’
3. Mikel Landa (BAH) + 2’52’’
4. Thibaut Pinot (GPF) + 2’59’’
5. Miguel Angel Lopez (AST) + 2’59’’
6. Sergio Higuita (EF) + 2’59’’
7. Primoz Roglic (JBV) + 3’00’’
8. Julian Alaphilippe (DCQ) + 3’32″
9. Christopher Froome (INE) + 3’38’’
10. Tom Dumoulin (JBV) + 3’42’’
11. Egan Bernal (INE) + 3’48’’
12. Geraint Thomas (INE) + 3’52’’
13. Steven Krujidfdksie (JBV) + 3’55’’
14. David Gaudu (GPF) + 4’39’’
15. Alejandro Valverde (MOV) + 4’47’’
16. Tadej Pogacar (UAE) + 4’59 »


Maillot à pois : Pierre Rolland

Maillot vert : Peter Sagan

Maillot blanc : Sergio Higuita

Combatif du jour : Richie Porte

Demain : journée de repos !