Chauvigny – Sarran (218 km)

Si vous n’êtes pas pur grimpeur, pas pur sprinteur, pas pur rouleur et encore moins pur puncheur, vous vous vanterez sûrement d’être un baroudeur. Cette caste de coureur complet (pour ne pas dire moyen) est noble, puisqu’elle persiste depuis des décennies à animer la course malgré sa constance à être vouée à l’échec cuisant. Parfois ça passera, mais ça restera toujours plus rare qu’un cheveux sur le haut du crâne de Tom Boonen sortant de chez le coiffeur. En somme, un baroudeur est un bon bougre qui se fait mal pour notre plaisir télévisuel et qui prend le sien dans les infimes espoirs de victoires pouvant s’offrir à lui. Certains ne lèveront même jamais les bras durant leur carrière, mais ils auront tenté. Le baroudeur, ou l’éloge de la patience non récompensée et du « tout ça pour ça ».

Aujourd’hui, le Tour leur tend une belle perche, puisque la route conduisant à Sarran ne connaîtra pas un mètre de plat et rendra la course difficile à contrôler pour les leaders, qui ne voudront pas lâcher des forces inutiles dans cette caniculaire aventure corrézienne. Il y a donc fort à parier qu’un professionnel de l’évasion puisse tirer son épingle du jeu en ce jour « de transition » qui comme une augmentation juste avant Noël, sera plus compliqué à négocier qu’il n’y parait.

Après avoir connu les épaules de Laporte, Valverde, Gaudu et Froome, le maillot jaune de Julian Alaphilippe savoure son porteur, qui chauffe la foule venue massivement au départ sur un gros son bien gras d’ACDC. Le coureur français s’empare de deux bidons de Rémi Cavagna et joue le rythme d’Highway to Hell sur le câne de Michael Morkov comme s’il était une batterie. Plus loin, sur le bob Skoda d’une sexagénaire, Sagan dessine une chose qu’on ne pourrait vous décrire par peur de brusquer les mœurs de notre plus jeune lectorat, pendant que Madouas signe un autographe à un gamin qui le confond avec Gaudu. Van Aert est quant à lui détendu, comme libéré par sa victoire deux jours plus tôt. Le gars vit sa meilleure vie : il se descend une Amstel au pied du bus en rigolant : « C’est toujours une Amstel que Van der Poel n’aura pas ! ».

Enfin, le départ est donné et comme vous pouvez vous en douter : ça flingue à tout va. On a l’impression que la moitié du peloton cherche à s’en éloigner, comme s’il était porteur du Covid-19. La première heure de course est en conséquence ultra rapide et ne fait aucune différence. Quand un Total-Direct Energie est devant, aucun Cofidis n’y est et inversement. Quand un groupe de dix prend six mètres d’avance, sa composition ne plait pas à Israel-Start up Nation et les gars roulent dessus. Quand le contre se dessine, il y a trop de B&B-Vital Concept en son sein et l’échappée s’auto-sabote. Tel un chat devant une porte ouverte, il y a donc beaucoup d’hésitation avant de sortir. Quand soudain, à la faveur d’un raidillon bien épicé couplé à un peloton un peu émoussé, un groupe de 16 coureurs arrive enfin à se détacher à la pédale ! Rideau derrière, l’effort est coupé aussi sec qu’un bout de sauciflard un soir d’apéro et les Deceuninck-Quickstep, un peu émoussés par leur chevauchée dans les bordures et par leur victoire de la veille, relâchent leur effort. Le contre-coup est rude : à la mi-course, alors qu’ils traversent Saint Léonard de Noblat (village de Raymond Poulidor), les échappés ont 16 minutes d’avance. C’est la bonne, et de loin !

Le profil vallonné est fatal à la moitié de ce groupe, qui à mesure qu’il s’approche de l’arrivée, s’amenuise. Ça ne rigole pas sur le tempo et pour cause : Thomas De Gendt est présent dans l’échappée avec Tim Wellens qui se dépouille pour lui, la bête à rouler n’accusant que 8 minutes de retard sur Julian Alaphilippe après des Pyrénées très bien négociées (en mode vieux diesel). De Gendt est donc virtuel maillot jaune. Une fois la lessive de Wellens faite, il ne sont plus que 8. L’identité des sept derniers rescapés qui font du derrière-tracteur dans le sillage du belge (alors qu’il reste 25 kilomètres et qu’on est au pied du Suc au May) est la suivante : Mikaël Chérel (AG2R-La Mondiale), Pierre-Luc Périchon (Cofidis), Lennard Kämna (Bora-Hansgrohe), Mikel Nieve (Mitchelton-Scott), Lilian Calmejane (Total-Direct Energie), Cyril Gautier (B&B-Vital Concept) et Michael Valgren (NTT).

Le dernier cité tente bien un truc, mais le plus fort est incontestablement De Gendt. Rien à faire, il épuise tout le monde (même l’auteur de cet article est exténué, d’où l’absence d’illustrations dans ces lignes parce que : flemme). Dans la fournaise écrasante, le Wolfpack lâche l’affaire pour de bon et Alaphilippe dit au-revoir à son joli teint jaune. De Gendt est monstrueux et dégage un à un tous ses potes. Comme s’ils étaient des colis et qu’il devait les déposer au bord de la route.
À la fin de sa tournée (d’acide lactique), le postier de Lotto-Soudal termine avec une minute d’avance sur Valgren et ses poursuivants, mais surtout avec plus de 13 minutes d’avance sur le peloton.

Aujourd’hui, le désormais jauni De Gendt ne s’est pas contenté de faire sauter uniquement ses compagnons d’échappée. Le bouchon de champagne y est passé aussi. 

Classement général :

1. Thomas De Gendt (LTS)
2. Julian Alaphilippe (DCQ) + 5’12 »
3. Primoz Roglic (JBV) + 5’16’’
4. Mikel Landa (BAH) + 5’18’’
5. Thibaut Pinot (GPF) + 5’22’’
6. Tom Dumoulin (JBV) + 5’22’’
7. Nairo Quintana (ARK) + 5’22’’
8. Steven Krujidfdksie (JBV) + 5’22’’
9. Sergio Higuita (EF) + 5’22’’
10. Miguel Angel Lopez (AST) + 5’22’’
11. Christopher Froome (INE) + 5’31’’
12. David Gaudu (GPF) + 5’46’’
13. Alejandro Valverde (MOV) + 5’56’’
14. Tadej Pogacar (UAE) + 6’06 »
15. Geraint Thomas (INE) + 6’08’’
16. Egan Bernal (INE) + 6’12’’

Maillot vert : Peter Sagan (BOH)

Maillot à pois : Pierre Rolland (BBV)

Maillot blanc : Sergio Higuita (EF)

Combatif du jour : Thomas De Gendt (LTS)